Le conseil exécutif de Corse embourbé dans les discussions avec le Ministre Gérald Darmanin semble avoir perdu de vue l’essentiel, la défense de l’intérêt général des Corses qui passe par la préservation du pouvoir d’achat insulaire.
Une chose apparait certaine, ce conseil exécutif semble déterminé à ne pas obtenir la régulation des prix. Peut être est-ce pour préserver les 40 millions d’euros annuels de transfert de la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) vers la collectivité de Corse ?
Pour preuve, il suffit de mesurer le silence assourdissant de nos élus suite à la réponse que le gouvernement vient de faire à la question écrite du député Paul André Colombani qui demandait la mise en œuvre de la régulation (une des mesures préconisées par l’Autorité de la concurrence).

En effet, les hauts fonctionnaires du Ministère de l’économie et des finances pensant s’adresser à des benêts évoquent les effets pervers de la réglementation qui pousseraient les stations à s’aligner sur les prix plafonds.
Sauf qu’à la Réunion où les prix sont réglementés, par exemple, le prix plafond est de 1.67 €/l pour le SP95 et 1.5 €/l pour le gazole en décembre 2022. Des plafonds comme cela on en redemande !!
Mieux, sans aucune étude, ils affirment que le prix réglementé pour préserver le maillage territorial de la Corse en stations-services pourrait n’être que peu différent du niveau de prix actuel.
Sauf que c’est le pouvoir d’achat des insulaires qu’on leur demande de préserver. Un pouvoir d’achat pour lequel l’Etat met sur la table plus de 30 millions € par an en allégement de TVA.
C’est bien la première fois que l’on voit des fonctionnaires de Bercy se moquer des deniers publics !
Ce qui est troublant c’est qu’ils nous servent les mêmes éléments de langage que le conseil exécutif de Corse!
Bien entendu, ils n’emploient pas le terme « monopole » pourtant évoqué par l’Autorité de la concurrence et fondamental pour mettre en œuvre l’article L410-2 du code du commerce qui permet à l’Etat de réguler les prix.
On en vient à se demander ce qui est évoqué pendant les réunions avec Gérald Darmanin. Certainement pas des choses concrètes qui touchent le quotidien de dizaines de milliers de Corse !
En revanche, les effets pervers du monopole sont extrêmement visibles en cette année 2022. En effet, les remises déclenchées par le groupe TOTAL au niveau national ont montré ce que la concurrence peut générer quand elle s’exprime librement.
Mais si la Corse en a bénéficié c’est surtout parce que TOTAL a baissé les prix sur l’ensemble du réseau national (dont la Corse). Elle n’a été qu’un bénéficiaire indirect d’une mesure destinée à éviter la mise en place d’une taxe sur les super profits.
Le groupe Total a appliqué deux périodes de remise dont nous allons mesurer l’impact sur l’écart entre le réseau insulaire et le réseau traditionnel (hors low cost et grande distribution) dans les Bouches du Rhône.
10 c€/L entre le 14/02/2022 et le 15/05/2022.
Dans les Bouches du Rhône
- Gazole
Le réseau traditionnel est composé de 115 stations – dont 39 sont sous enseigne TOTAL – commercialisant ce carburant.
Parmi ces dernières, seules 15 stations ont appliqué la remise de 10 c€/L
Ces 15 stations ont pratiqué des prix moyens :
- 1.91 € c€/L TTC plus élevés que dans le reste du réseau avant la remise
- 5.2 c€/L TTC moins élevés que dans le reste du réseau pendant la remise.
La remise a bien provoqué une baisse du prix moyen pratiqué par ces 15 stations. Mais elles ne représentent que 13% du réseau donc l’impact a été faible sur la moyenne du prix pratiqué par le réseau traditionnel.
- SP95
Le réseau traditionnel est composé de 44 stations – dont 10 sont sous enseigne TOTAL – commercialisant ce carburant.
Parmi ces dernières, seules 6 stations ont appliqué la remise de 10 c€/L
Remarque :
On peut déjà constater, alors que la Corse commercialise uniquement du SP95, que dans les Bouches du Rhône ce carburant devient minoritaire, le réseau traditionnel préférant commercialiser du E10 moins cher (car moins fiscalisé) mais non disponible sur l’île.
Ces 6 stations ont pratiqué des prix moyens :
- 7.27 c€/L TTC plus élevés que dans le reste du réseau avant la remise
- 4.4 c€/L TTC moins élevés que dans le reste du réseau pendant la remise
Là encore la remise a joué sur le prix moyen pratiqué par ces 6 stations mais ces dernières ne représentent que 13.7% du réseau commercialisant du SP95. L’impact a donc été très faible.
En Corse
Le réseau n’est que traditionnel. Il est composé de 128 stations référencées sur le site gouvernemental prix des carburants : 62 stations sous enseigne Vito, 45 sous enseigne TOTAL et 21 sous enseigne ESSO.
Entre le 14/02/2022 et le 15/05/2022 les 45 stations Total ont appliqué la remise de 10 c€/L décidée nationalement.
Malgré les déclarations dans les médias insulaires, du directeur général de Vito Corse qui a expliqué qu’il « n’avait pas les moyens de mener une telle opération dans son réseau », force est de constater que le réseau Vito a suivi la baisse.
Seul le réseau ESSO n’a pas appliqué de baisse.


On voit nettement les prix moyens du réseau Total et Vito suivre la même tendance baissière pour le gazole et le SP95. Ce qui démontre que Vito a appliqué la même réduction à son réseau.
Le prix moyen du réseau ESSO est resté plus élevé que ses deux concurrents
20 c€/l entre le 01/09/2022 et le 16/11/2022
Dans les Bouches du Rhône
Contrairement à la remise précédent, elle a été appliquée dans toutes les stations sous enseigne total soit 39 stations.
- Gazole
Avant la remise, du 16/05/2022 au 31/08/2022, ces 39 stations avaient un prix moyen plus élevé de 1,7 c€/L TTC par rapport au prix moyen pratiqué par le reste du réseau
Pendant la remise, du 01/09/2022 au 16/11/2022, elles avaient un prix moyen moins élevé de 23,23 c€/L TTC par rapport au prix moyen pratiqué par le reste du réseau.
Mais ces 39 stations ne représentent que 34% des stations du réseau traditionnel qui commercialise du gazole ce qui n’a eu qu’une influence modérée sur le prix moyen global du réseau
- SP95
Avant la remise, du 16/05/2022 au 31/08/2022, les 10 stations avaient un prix moyen plus élevé de 3,8 c€/L TTC par rapport au prix moyen pratiqué par le reste du réseau
Pendant la remise, du 01/09/2022 au 16/11/2022, elle avaient un prix moyen moins élevé de 22 c€/L TTC par rapport au prix moyen pratiqué par le reste du réseau.
Mais ces 10 stations ne représentent que 22.7% des stations du réseau traditionnel qui commercialise du SP95 ce qui n’a eu, à l’instar du gazole, qu’une influence modérée sur le prix moyen global du réseau
En Corse
Alors qu’en février, le directeur général avait étalé, dans médias régionaux, ses protestations devant la baisse de 10 c€/L de Total pour finalement la suivre.
En septembre, dans la plus grande discrétion, sans en faire la moindre communication, l’enseigne Vito s’est alignée sur la remise de 20 c€/L.
Le Groupe Total, lui, l’a annoncé sa remise à grand renfort de publicité !


Que cela soit sur le Gazole ou le SP 95, le prix moyen du réseau TOTAL et Vito sont restés similaires. Ce qui montre que Vito s’est aligné.
En revanche, dans les deux cas, le réseau ESSO n’a pu suivre les remises et son prix moyen est resté plus élevé.
Influence sur l’écart
L’augmentation vertigineuse des bénéfices trimestriels du groupe Total en 2022 l’a conduit à appliquer des remises exceptionnelles dans son réseau à destination des usagers.
Mais, Il s’agit donc d’une stratégie beaucoup plus politique que commerciale. En effet, devant le risque de voir instaurer une taxe sur les super profits, Total énergie a décidé d’accompagner les remises de l’Etat.
Il important de comprendre que c’est la conséquence d’une négociation avec le gouvernement et non d’un rapport concurrentiel sur un marché donné.
Pour Total, se préserver d’une telle taxe est bien plus important que sa relation avec le groupe Rubis et sa filiale Vito sur le petit marché insulaire. Total corse exécute les consignes de remise de sa société mère.
Quoiqu’il en soit, cela a permis d’avoir une simulation de ce qu’il se passerait si le marché insulaire des carburants était vraiment animé d’un esprit concurrentiel.
Et effectivement cela a eu une influence. Pendant les périodes de remise, jamais l’écart HTVA n’a été aussi faible.
Le prix moyen des carburants a même été à certaines périodes plus faible en Corse de dans les Bouches du Rhône. Du jamais vu depuis la fin de la régulation du prix des carburants en France en 1986.


Les graphes précédents montrent que lors des deux périodes de remise du groupe Total jamais l’écart avec le continent n’a été aussi faible (cercles verts).
Mieux, le prix des carburants en Corse était moins élevé que sur le continent. Entre le 5/10 et le 25/10 pour le Gazole et entre le 4/10 et le 15/11 pour le SP95.
En revanche, entre le 15 mai et le 1 septembre, période sans remise du groupe TOTAL, il y a eu comme une forme de récupération car jamais l’écart n’aura atteint des niveaux aussi élevés. (cercles rouges)

Le pointage des écarts montre clairement qu’en période de remises du groupe Total l’écart s’est considérablement réduit pour les deux carburants. En revanche, il devient plus important hors des périodes de remise.
Conclusion
Si le marché insulaire était animé par une vraie concurrence, cela provoquerait un alignement des prix avec les Bouches du Rhône. Dans ces conditions, la TVA plus faible permettrait même d’avoir des carburants à des prix moins élevés.
En revanche, sans concurrence, même si l’Etat applique une remise, comme cela a été le cas entre le 15 mai et le 1er septembre, cela n’a aucun impact sur l’écart de prix qui a atteint des niveaux historiques dans cette période.
Les usagers insulaires ont pu bénéficier d’une décision nationale du groupe Total qui n’a rien à voir avec la particularité du marché insulaire.
En revanche, les conséquences pour le groupe Ferrandi/Esso risquent d’être irréversibles. Des stations de l’enseigne sont passées Vito. Cela démontre qu’au niveau des stations seuls deux acteurs peuvent animer le marché concurrentiel. Et cela fait craindre une concentration plus accrue dans la distribution des carburants avec l’affaiblissement d’un acteur déjà tout petit.
Seule la régulation des prix pourrait permettre d’obtenir de manière durable ce que les remises du groupe Total ont provoqué de manière ponctuellement c’est-à-dire des prix au même niveau que sur le continent voire plus faible.
Mais cette régulation que permet pourtant l’article L410-2 du code du commerce gène tout autant les hauts fonctionnaires de Bercy que le conseil exécutif de Corse qui ne cherche qu’à gagner du temps avec des conférences sociales. L’objectif de ces dernières consistant à faire croire que l’on fait sans rien faire du tout !